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JUGE POUR AVOIR TUE SES 3 ENFANTS

Jugé pour avoir tué ses enfants sur La D770, au niveau de Ploudaniel, est un lieu particulièrement accidentogène. | ARCHIVES Afficher le diaporama

Ouest-France Mickaël LOUÉDEC. Publié le 12/12/2019 à 19h45

Ambiance pesante, jeudi après-midi, au tribunal de Brest. Une chape de plomb s’est abattue sur la salle d’audience correctionnelle. Entre deux plaidoiries, on entendrait presque les mouches voler.

À la barre, un homme de 48 ans au casier judiciaire vierge. Il comparaît pour avoir involontairement donné la mort à trois de ses enfants, âgés de 5, 6 et 12 ans. C’était le 3 mars 2018, à 11 h 15, sur la D770, au lieu-dit Le Penfrat, à Ploudaniel. Un endroit qu’on croirait maudit. Un an et demi plus tard, trois membres d’une autre fratrie y perdaient la vie (Ouest-France du 16 novembre).

« Je passais sur cette route depuis quinze ans, sans aucun souci », explique le père, à la barre. Il venait de récupérer ses enfants, chez son ex-compagne et faisait route vers Lannilis, pour finaliser une affaire conclue sur un site de vente en ligne. Il était en retard. Roulait-il trop vite ? « Je n’ai pas dépassé les 80 km/h », assure-t-il. Des propos confirmés par une expertise.

« J’ai du mal à expliquer… »

Sa voiture, une Ford Focus, quitte néanmoins sa voie de circulation et vient percuter la Nissan Qashqai qui arrive en face. Le chahut des enfants aurait-il pu détourner son attention ? Il affirme que non. « Comment expliquer que la voiture s’est emportée ? Je ne saurais le dire… »

Le tribunal cherche à le mettre face à certaines responsabilités. Lors de l’accident, il roule sans assurance au volant d’une voiture qui ne lui appartient pas. Et dont le propriétaire, qu’il connaît, n’aurait pas donné son accord pour un prêt… Les deux plus jeunes enfants ne sont pas non plus assis sur des sièges surélevés. Enfin, une roue de secours, fortement usée, est installée à la place de la roue arrière-gauche. « J’ai du mal à expliquer cet accident, à six kilomètres de chez moi », persiste-t-il.

Avocat des parties civiles, Me F reconnaît être au cœur d’un procès « très atypique ». « Quelle est la peine adaptée, au regard des circonstances effroyables », demande-t-il. D’abord dans l’empathie, il finit par dénoncer le caractère « totalement irresponsable » du papa.

Me B, avocat du conducteur de la Qashqai, fait part du chagrin de son client, présent à l’audience aux côtés de la mère des victimes. « Il a mis du temps à conduire de nouveau. Il passe tous les matins et tous les soirs à l’endroit de l’accident… »

« La justice est démunie »

Évoquant aussi un « épouvantable accident », la procureure Véronique W-O le reconnaît : « La justice est démunie, bien impuissante à remédier à quoi que ce soit. » Elle propose tout de même une peine de deux ans de prison, dont dix-huit mois avec sursis.

Pour la défense, Me L plaide les yeux rougis par l’émotion. « Je ne sais pas ce que ça fait d’aller chercher ses trois enfants, de les détacher, de les poser à terre… Je ne sais pas ce qu’est une bonne peine et je vous laisse le soin d’apprécier. »

Son client écope de 18 mois de prison avec sursis. Retrait de permis avec interdiction de le repasser avant deux ans et une amende.

Quel sens le prévenu y trouvera-t-il ?

Il avait donné un élément de réponse quelques minutes plus tôt : « L’amour que j’avais pour mes enfants, on ne peut pas l’évaluer. On ne peut pas le mesurer. »

Ouest-France Mickaël LOUÉDEC. Publié le 12/12/2019 à 19h45